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1Reçue à Grenoble, le 10 mars 1573.
2Monseigneur, j’ay receu ce matin votre lettre du dernier du passé, et ceste après disner
3qui nous sera possible pour elle, mais je veoy bien que nous avons affère à gens maupiteux
5et me doubtois qu’ils scavoyt que le sieur de Mures est encor mineur lhors qu’ils offrirent
6de luy payer et se contenter de ses promesses s’il estoit marié Quant au Poulsin
7qu’il plaisoit à Dieu que monseigneur le mareschal fust venu à bout de Sommières et
8qu’il eust encor munitions, ce ne seroit peut estre hors de propos qu’il y feist
9monter ses forces avec tant d’artillerie que ce fust assés pour en delouger
10les rebelles, ruiner ce lieu (j’entens les murailles) et chastier bien les coulpables.
11Pour le moins feroit il grand plaisir à tous ceux qui ont interés à ce que la navigation
12du Rosne soit libre. Il sousteroit une grand[e] espine du pied, delivreroit
13d’un grand ennuy, terreur et despense aveq notre pauvre païs de Daulphiné,
14remectroit en asseurance la Provence, et le Contat, et encor que ce ne
15soit qu’une meschante bicocq, si a elle tant fait parler de soy que la reprinse
16n’en seroit que honorable et favorable. Si j’avois ceste honneur d’estre encor
17près de monseigneur le maréchal, je declamerois et presserois ce point aussi bien
18comme j’ai fait autre fois la demolition dudit lieu. Pour respondre au surplus
19de vos lettres par ordre, j’entens que monseigneur le maréchal de Tavanes se porte mieux.
20Vous aurés peu veoir comme par lettres du premier de ce moys monsieur
21de Morvilliers estoit encor à Paris, où je pense qu’avant en partir il portera
22la fille de la quelle ma belle seur est accouchée. L’equivocq fut fait en
23ceste ville sur la nouvelle du decès de monsieur de Marillac. Je ne scait
24rien adiouxter à mes precedentes pour le regard de La Rochelle, de laquelle
25monsieur de Langes nous a envoyé le pourtrait. Dieu nous en doint bon
26succès affin de couper tost chemin à tant de malheurs et necessités.
27Nous n’avons autres nouvelles de Sancerre, sinon que l’on a remué la batterie
28ayant trouvé une trop grand tranchee derrièr celle que l’on avoit faitte.
29Nous avons eu icy toutes les mesmes nouvelles dudit Sommière qu’à Grenoble.
30Mais elles n’ont continué, ains a l’on dist depuis qu’une tour qu’ilz battoyent
31estoyt versée sur la bresche et l’avoit bouchée. Vous ne pouvés de moings
32que d’envoyer promptement en Piedmont l’advis touchant Pinerol, car en ces matières
33il vaut mieux pecher en ceste part, et de reputer possible ce qui est possible.
34Encor vous dirai je là dessus que naguères passa par icy le sieur Andrea de Biraghi
35[247v°] qui dict (ainsi que monsieur de Mandelot m’a raconté) que certain ministre de Pragela
36estoit allé prescher en certain lieu où n’avoit jamais esté fait exercice de la religion,
37qu’ils iroyent prescher encor plus outre, avec certains autres propos de menaces,
39qui fera adiouxter encor devantage de foy audit advis. Toutesfoys je ne feroy
40pas grand estat d’un semblable dire de ministres, qui font mestier de tels articles,
41joinct que ou il est un sot, et il n’y a pas grand fondement, ou il ne l’est pas, et il
42se fust bien gardé de le dire s’il eust pensé qu’on le deut essayer. Je me doubtois
43bien que à peine monsieur de Mandelot vous escriroit de la Robinière, et me semble que je le
44vous gaignois. Comme aussi je vous touchois un mot de ce que je coniecturoys et tenois
45de l’advertisseur. Au surplus je ne comprens pas qui peuvent estre ceux qui i dressent
46ce jeu. Ce malheur n’est que trop commun aujourd’huy d’embrouiller le service du roy
47de nos particulières. Quant au seigneur qui doit estre aussi tost que labas que vous
48puis que on ne peut de moins patience, comme vous dictes, [nisi domus]. Pour le regard du
49seigneur de Cugi je croy que raisons ne luy defandront. Et si je scay d’ailleurs ^ [^ qu’ean le roy], fait recherche telles gens pour soustraire à ses ennmis tous les moyens ^ [^ dont] il se peut adviser, mais chacun ne
50le veut pas comprendre. Quant à tant de cappitaines qui se presentent, je me souviens avoir
51ouy dire à feu monsieur de Selve ambassadeur à Venise, lhors de la guerre de Parme qu’il n’avoit
52jamais veu tant de cappitaines qui se presentoyent de faire service au roy ny si peu de souldas, tesmoins
53qu’il n’y a precedenx que ne vous promectent (je m’asseure) de vous amener dans huict jours
54cent ou deux cens bons soudas, que n’en mectent pas ensemble la moytié dans quatre
55foys autant ^ [^ de temps] quelque comodité que on leur done. J’ay veu à quoy vous en avés esté, et
56depuis mondit sieur le mareschal ecrivant aux gentilshomes, j’entens d’une bone partie, nous en
57sommes comme dict un vieux historien Illis temporibus fortius boni pro libertatem
58loquebantur quam pugnabant. De nouvelles je ne scay rien adjoincter à
59a levé son siège de devant Utrec, et neantmoins d’autre part près de Flessingues,
61les gens du prince d’Aurenges pressoient fort un lieu du quel la prinse nuiroit bien fort
62à ce que se dict audit Anvers. Et sur ce, après mes très humbles recommendations à votre bonne
63grace et de madame de Gordes, je supplie le Createur qu’il vous done,
64monseigneur, très longue et heureuse vie. De Lyon, ce VIIe
65jour de mars 1573.
66Votre très humble et très affectionné
67serviteur Bellievre